L'attaque des archers - Texte

Modifié par Lucieniobey

Des Grieux tente de sauver Manon, qui a été capturée et est en route pour l'Amérique. Il tente d'attaquer les archers qui retiennent Manon avec l'aide de ses compagnons, mais ceux-ci l'abandonnent au moment de l'attaque.

Nous tînmes conseil un moment sur la manière dont nous ferions notre attaque. Les archers n’étaient guère plus de quatre cents pas devant nous, et nous pouvions les couper en passant au travers d’un petit champ, autour duquel le grand chemin tournait. Le garde du corps fut d’avis de prendre cette voie, pour les surprendre en fondant tout d’un coup sur eux. J’approuvai sa pensée et je fus le premier à piquer mon cheval. Mais la fortune avait rejeté impitoyablement mes vœux. Les archers, voyant cinq cavaliers accourir vers eux, ne doutèrent point que ce ne fût pour les attaquer. Ils se mirent en défense, en préparant leurs baïonnettes et leurs fusils d’un air assez résolu. Cette vue, qui ne fit que nous animer, le garde du corps et moi, ôta tout d’un coup le courage à nos trois lâches compagnons. Ils s’arrêtèrent comme de concert, et, s’étant dit entre eux quelques mots que je n’entendis point, ils tournèrent la tête de leurs chevaux, pour reprendre le chemin de Paris à bride abattue.

– Dieux ! me dit le garde du corps, qui paraissait aussi éperdu que moi de cette infâme désertion, qu’allons-nous faire ? Nous ne sommes que deux. J’avais perdu la voix, de fureur et d’étonnement. Je m’arrêtai, incertain si ma première vengeance ne devait pas s’employer à la poursuite et au châtiment des lâches qui m’abandonnaient. Je les regardais fuir et je jetais les yeux, de l’autre côté, sur les archers. S’il m’eût été possible de me partager, j’aurais fondu tout à la fois sur ces deux objets de ma rage ; je les dévorais tous ensemble. Le garde du corps, qui jugeait de mon incertitude par le mouvement égaré de mes yeux, me pria d’écouter son conseil.

– N’étant que deux, me dit-il, il y aurait de la folie à attaquer six hommes aussi bien armés que nous et qui paraissent nous attendre de pied ferme. Il faut retourner à Paris et tâcher de réussir mieux dans le choix de nos braves. Les archers ne sauraient faire de grandes journées avec deux pesantes voitures ; nous les rejoindrons demain sans peine.

Je fis un moment de réflexion sur ce parti, mais, ne voyant de tous côtés que des sujets de désespoir, je pris une résolution véritablement désespérée. Ce fut de remercier mon compagnon de ses services, et, loin d’attaquer les archers, je résolus d’aller avec soumission, les prier de me recevoir dans leur troupe pour accompagner Manon avec eux jusqu’au Havre-de-Grâce et passer ensuite au-delà des mers avec elle.

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